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7 février 2008

HENRI DUNANT (suite)

Retraite à Heiden

En 1881, il se rend pour la première fois en compagnie d'amis de Stuttgart au Biedermeierdorf situé au-dessus de la ville de Heiden dans le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures. À partir de 1887, alors qu'il vit à Londres, il reçoit une petite aide financière mensuelle de ses partisans. Puisque celui-ci possède un style de vie certes modeste mais sans tomber dans la pauvreté, il parvient à s'installer définitivement en juillet de la même année dans l'hôtel Paradies de la famille Stähelin situé à Heiden. Après que cette famille ait vendu la pension quelques années plus tard, il se rend dans la commune voisine de Trogen et vit à partir de la fin 1890 dans l'hôtel Lindenbühl sans toutefois se sentir à son aise. Après plus d'une année, il retourne à Heiden et vit à partir du 30 avril 1892 dans l'hôpital de la ville qui est dirigé par le docteur Hermann Altherr. Il se retire alors complètement aux cours des années suivantes et laisse de plus en plus la place, au soir de sa vie, à des pensées mystiques et des visions prophétiques. Parmi les raisons du choix de Dunant porté sur Heiden figurent, aux côtés de la perspective de l'isolement et de la renommée de cette ville comme lieu de repos et de traitement, la vue sur le lac de Constance qui lui rappelle sa ville natale et le lac Léman qu'il aime se remémorer durant ses promenades.

Peu après son arrivée, il se lie d'amitié avec le jeune enseignant Wilhelm Sonderegger et son épouse Susanna. Sous la pression de Sonderegger, il débute la rédaction de ses mémoires. Susanna lui suggère alors la fondation d'une section de la Croix-Rouge à Heiden, une idée qui enthousiasme Dunant. En 1890, il devient président d'honneur de la section fondée le 27 février de la même année.

Il fonde de grands espoirs en l'amitié avec les Sonderegger en ce qui concerne la propagation de ses idées, en particulier sous la forme d'une nouvelle édition de son livre. Toutefois, cette amitié souffre plus tard fortement d'accusations non justifiées de Dunant selon lesquelles Sonderegger ferait cause commune avec Moynier resté à Genève. Le décès prématuré de Sonderegger en 1904, à l'âge de 42 ans, pèse sur Dunant malgré les tensions profondes existant entre les deux hommes. L'admiration de Sonderegger pour Dunant, restée intacte malgré les reproches de ce dernier, s'est tard transmise à son fils Hans Konrad Sonderegger et à son petit-fils René qui publiera en 1935 des lettres de Dunant héritée de son père.

Rappel tardif

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                                                    Bertha von Suttner

En septembre 1895, Georg Baumberger, rédacteur en chef du journal Die Ostschweiz de Saint-Gall, écrit un article sur le fondateur de la Croix-Rouge avec lequel il s'entretient en venant par hasard à Heiden en août de la même année. Cet article intitulé Henri Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge paraît dans la revue allemande Sur terre et mer qui est diffusée en peu de jours dans toute l'Europe. On se souvient alors de lui et il reçoit des messages de sympathie et de soutien du monde entier. Il apparaît à nouveau dans la conscience d'un large public en tant que fondateur du mouvement de la Croix-Rouge même si le comité international de Genève évite encore tout contact avec lui. Dunant reçoit notamment le prix Binet-Fendt remis par le Conseil fédéral et la reconnaissance du pape Léon XIII pour son dévouement personnel. Grâce à une pension annuelle envoyée par la tsarine russe Maria Fedorovna et d'autres versements, sa situation financière s'améliore rapidement.

En 1897, Rudolf Müller, devenu professeur de l'enseignement secondaire à Stuttgart, publie chez les éditions Greiner & Pfeiffer L'histoire de la naissance de la Croix-Rouge et de la convention de Genève où le rôle de Dunant en tant que fondateur est soulignée pour la première fois depuis son retrait du comité international. Le livre contient aussi la nouvelle édition germanophone et raccourcie d'Un souvenir de Solférino. Dunant lui-même entretient à cette époque un échange de correspondance avec la pacifiste autrichienne Bertha von Suttner à la suite de la visite de cette dernière à Heiden.

Il écrit également de nombreux articles dans une revue publiée par celle-ci, À bas les armes !, dont un essai sous le titre À la presse. En outre, il publie aussi des extraits de manuscrits non publiés sous le titre Petit arsenal contre le militarisme ou Petit arsenal contre la guerre. Impressionné par l'action de Suttner et Florence Nightingale, il en arrive à la conviction que les femmes pourraient jouer un rôle bien plus important dans la réalisation d'une paix durable que les hommes. Il voit à cet égard la défense de l'intérêt personnel, le militarisme et la brutalité comme des principes typiquement masculins alors qu'il attribue aux femmes l'amour du prochain, l'empathie et l'aspiration à la résolution des conflits. En se basant sur cette constatation, il soutient fortement l'égalité des droits pour les femmes.

En 1897, il suggère la fondation d'une fédération d'infirmières internationale sous le nom de Croix verte. En février 1899, avant la première conférence de La Haye, il publie un essai dans la Revue allemande, sous le titre Proposition à sa majesté de l'empereur Nicolas II, qui constitue sa dernière tentative de prendre part au débat public de l'époque en faveur des efforts de paix.

Prix Nobel de la paix

En 1901, Dunant reçoit le premier prix Nobel de la paix pour la fondation de la Croix-Rouge internationale et l'initiation de la première convention de Genève. Dans un télégramme qu'il reçoit le 10 décembre, le comité Nobel basé à Oslo lui communique ainsi sa décision :

« À Henry Dunant, Heiden. Le comité Nobel du parlement norvégien a l'honneur de vous communiquer qu'il vous remet le prix Nobel de la paix 1901 à vous, Henry Dunant, et à Frédéric Passy. Le comité vous envoie ses respects et ses bons vœux. »

Pour défendre ses opinions, Dunant avait agi auprès du comité Nobel au travers du médecin militaire norvégien Hans Daae à qui Rudolf Müller avait expédié une copie de son livre. Avec Dunant, c'est le pacifiste français Frédéric Passy, fondateur de la première Ligue internationale de la paix à Paris (1867) et membre avec lui de l'Alliance pour l'ordre et la civilisation, qui est distingué. Les félicitations, qui lui sont communiquées officiellement à l'occasion de l'attribution du prix, signifient pour lui une réhabilitation tardive, 34 ans après les faits, et la reconnaissance de ses actions pour la naissance de la Croix-Rouge, geste plus important encore pour lui que tous les autres prix, distinctions, honneurs et paroles de sympathie précédents. Pour le mouvement de la Croix-Rouge, le prix signifie une reconnaissance importante de son travail et de l'importance de la convention de Genève dans une atmosphère de risque de guerre en augmentation constante en raison d'une intensification des tensions internationales ainsi qu'un armement militaire croissant.

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Henri Dunant dans ses dernières années

Moynier de même que le comité international étaient également nominés pour le prix. Même si Dunant fut proposé par une large palette de partisans — dont trois professeurs de Bruxelles, sept professeurs d'Amsterdam, 92 parlementaires suédois, 64 parlementaires du Wurtemberg, deux ministres norvégiens ainsi que le Bureau international permanent de la paix —, sa nomination ne fut pas contestée pour le prix. On restait toutefois divisé sur l'effet de la Croix-Rouge et de la convention de Genève sur un conflit : ne rendent-ils la guerre plus attirante parce qu'ils supportent une partie de la peine liée à celle-ci ? Dans ce contexte, Rudolf Müller se prononce en faveur de l'attribution du prix à Dunant dans une longue lettre au comité Nobel et soumet la proposition de partager le prix entre Frédéric Passy, prévu à l'origine comme unique récipiendaire, et Dunant. Puisqu'une remise du prix à Dunant devait être examinée quelques années plus tard, il mit en avant son état de santé ainsi que son âge avancé.

La remise commune du prix à Passy et Dunant est aussi intéressante en raison des différences qui existent alors entre le mouvement pour la paix et le mouvement de la Croix-Rouge. Avec la décision de diviser le premier prix Nobel de la paix entre Passy, un pacifiste traditionnel et le représentant le plus connu du mouvement pour la paix à l'époque, et l'humaniste Dunant, le comité Nobel crée deux catégories essentielles sur lesquelles il s'appuiera pour les remises ultérieures du prix. D'un côté se trouvent les hommes puis plus tard les organisations qui se consacrent à la paix et correspondent ainsi à la partie du testament d'Alfred Nobel qui prévoit le prix pour celui qui « la plupart du temps ou le mieux possible [a agit] pour la suppression ou la diminution des armées ainsi que pour la formation et la diffusion de congrès de la paix... » D'autre part, dans la tradition de l'attribution du prix à Dunant, le prix sera remis dans le futur pour couronner les actions dans le secteur humanitaire. Cela suit une argumentation selon laquelle les actions humanitaires sont finalement aussi considérées comme pacifiques et correspondent ainsi à la partie du testament de Nobel qui prévoit le prix pour celui qui « la plupart du temps ou le mieux possible [a agit] pour la fraternité des peuples... »

Quant à Hans Daae, il a réussi à placer une partie de l'argent du prix, d'un montant de 104 000 francs suisses dans une banque norvégienne, le protégeant ainsi avant des créanciers de Dunant. Dunant lui-même n'a pas touché l'argent durant le reste de sa vie.

Mort

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Tombe de Henri Dunant

À côté de quelques autres honneurs qui lui sont accordés dans les années qui suivent, il est fait docteur honoris causa de la faculté de médecine de l'Université d'Heidelberg en 1903 en même temps que Gustave Moynier. Il passe les dernières années de sa vie à l'hôpital de Heiden où il tombe dans la dépression et la crainte d'être poursuivi par ses créanciers et son adversaire Moynier. Bien qu'il se voit encore lié à la foi chrétienne, il s'éloigne aussi bien du calvinisme que d'autres formes de religion organisée et dédaigne toute institution religieuse durant ses dernières années.

Selon les indications fournies par les infirmières s'occupant de lui, son dernier acte est l'envoi d'une version de son livre éditée par Rudolf Müller avec un mot personnel à la reine d'Italie. Il s'éteint dans la soirée du 30 octobre 1910 aux environs de 22h00 et survécut ainsi près de deux mois à Moynier.

Malgré les félicitations du comité de la Croix-Rouge adressées à Dunant à l'occasion de la remise du prix Nobel, aucune amélioration ne survint dans leurs relations.

Ses derniers mots adressés au docteur Altherr furent : « Ah, que ça devient noir ! » Dans une lettre adressée à Wilhelm Sonderegger, il formule son souhait quant aux circonstances de son inhumation :

« Je souhaite être porté en terre comme un chien le serait, sans une seule de vos cérémonies que je ne reconnais pas. Je compte sûrement sur votre bonté pour veiller sur mon dernier désir terrestre. Je compte sur votre amitié pour qu'il en soit ainsi. Je suis un jeune disciple du Christ comme au premier siècle, c'est-à-dire rien. »

Il est donc inhumé trois jours plus tard dans la discrétion et sans célébration au cimetière Sihlfeld de Zurich. Parmi les personnes présentes figurent, aux côtés de Hermann Altherr et Rudolf Müller, quelques envoyés de diverses associations de la Croix-Rouge en provenance de Suisse et d'Allemagne ainsi que ses neveux arrivés de Genève. Avec la fortune modeste qu'il a accumulée au moment de son décès au travers de l'argent du prix Nobel et de nombreuses donations, il offre dans son testament rédigé les 2 mai et 27 juillet 1910 un lit libre dans l'hôpital de Heiden pour les patients figurant parmi les citoyens démunis de la ville. En outre, il fait parvenir à ses amis les plus proches, dont Müller, Altherr et sa femme ainsi que les collaborateurs de l'hôpital, de petites sommes d'argent en remerciement. Il offre ce qui lui reste à des organisations d'utilité publique en Norvège et en Suisse et transfère à son exécuteur testamentaire le pouvoir de décider du choix des récipiendaires. Le fait qu'un règlement complet du poids de ses dettes ne fut pas possible avait fortement pesé sur lui à la fin de sa vie. Tous les livres, notes, lettres et autres documents en sa possession ainsi que ses distinctions seront remis à son neveu Maurice Dunant qui vit à Genève. À des fins de recherche, la correspondance échangée avec Rudolf Müller est rendue publique en 1975.

Pensée et héritage

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Monument commémoratif à Heiden

À l'occasion de l'anniversaire de Henri Dunant, le 8 mai, le mouvement de la Croix-Rouge internationale commémore son souvenir. De plus, le Musée Henry Dunant se trouve aujourd'hui dans le bâtiment de l'hôpital de Heiden dans lequel il a passé les dernières années de sa vie. Dans sa ville natale de Genève, ainsi que dans plusieurs villes situées dans d'autres pays, des rues, des places, des écoles et d'autres bâtiments portent son nom même si, à Genève, le premier monument commémoratif n'est inauguré qu'à l'occasion du centième anniversaire de la fondation du comité international en 1963. Par ailleurs, tous les deux ans, la commission permanente du mouvement de la Croix-Rouge remet la médaille Henry Dunant qui constitue la distinction la plus élevée du mouvement.

Lors de l'évaluation du rôle de Dunant dans la fondation de la Croix-Rouge, il faut toutefois aussi considérer le rôle de son adversaire Gustave Moynier. Dunant, à travers son livre, son charisme et ses activités avant la conférence de Genève en 1863 jouent sans aucun doute un rôle décisif dans la mise en place du comité international et de la convention de Genève. Dans l'histoire de naissance de la Croix-Rouge, il joue le rôle de l'idéaliste sans les idées duquel le développement historique après la bataille de Solférino aurait peut-être suivi une autre voie. Sa présence fortuite sur un champ de bataille ressemblant à tant d'autres de cette époque, le traitement de ses expériences dans un livre et les propositions qu'il développe donne à Solférino et à l'année 1859 leur place dans l'histoire. D'autre part, ce succès aurait été à peine possible sans l'action pragmatique de Moynier largement responsable dans le développement ultérieur du comité et l'expansion du mouvement de la Croix-Rouge et de ses activités. D'un point de vue historique, la combinaison de l'action des deux hommes contribua au succès de la Croix-Rouge, de la convention de Genève et des propositions de Dunant concernant la question des prisonniers de guerre. Environ dix ans après la fondation du comité international et de l'adoption de la convention de Genève, le développement de son activité pour les prisonniers de guerre montre d'abord quelques parallèles aux événements des années 1863 et 1864.

Même si au final le manquement a plusieurs raisons, sans la concurrence du tsar Alexandre III et de sa conférence de Bruxelles en 1874, une coopération renouvelée entre Dunant et Moynier aurait peut-être eu plus de succès. Une solution juridique des problèmes des prisonniers de guerre ne sera intégralement trouvée que 25 ans plus tard dans les conventions de La Haye de 1899 et 1907 ainsi qu'après le décès de Dunant et Moynier à travers les nouvelles conventions de Genève signées en 1929 et 1949.

Le fait que presque toutes ses idées aient été réalisées au fil du temps et sont encore en grande partie pertinentes montre que Dunant avait beaucoup d'avance sur les visions de son temps. Cela vaut aussi, au delà de la justification du mouvement de la Croix-Rouge et de l'expansion des activités du comité international pour la YMCA, la fondation de l'État d'Israël, la création d'une organisation destinée à protéger l'héritage culturel de l'humanité sous la forme de l'Unesco ainsi que pour son engagement dans la libération des esclaves en Amérique du Nord et l'égalité des femmes.

Littérature et cinéma

La biographie de Dunant a été transposée à différentes reprises dans des livres et des films, aussi bien dans des documentaires que des fictions. La première œuvre littéraire parue est le roman biographique Le voyageur. Les visions de Henry Dunant de Eveline Hasler. Dans celui-ci, la vie de Dunant est racontée dans une perspective narrative par un observateur anonyme dans les dernières années de sa vie. Un autre roman connu, Dunant. Le roman de la Croix-Rouge de Martin Gumpert, paraît déjà en 1938 et compte aussi parmi les premières transpositions littéraires de la vie de Dunant. Parmi les ouvrages documentaires les plus importants en allemand figure le livre de Willy Heudtlass et Walter Gruber plusieurs fois édité entre 1962 et 1985 : J. Henry Dunant. Fondateur de la Croix-Rouge. Auteur de la convention de Genève. Heudtlass, au début des années 1960, eut d'ailleurs la possibilité d'accéder à des lettres jusqu'ici inconnues car se trouvant en possession des descendants de Rudolf Müller et Hans Daae. Il faut aussi signaler le livre de Jacques Pous, Henry Dunant, l'Algérien paru avec une préface d'Henri Guillemin aux éditions Grounauer à Genéve et qui concerne la période algérienne de la vie de Dunant.

D'homme à hommes de Christian-Jaque, co-production franco-suisse d'une durée de 96 minutes, sort dans les salles en 1948. En 1978, Dieter Forte monte une pièce de théâtre qu'il baptise Jean Henry Dunant ou l'introduction de la civilisation et fait jouée pour la première fois le 30 mars 1978 au Théâtre national de Darmstadt. Une version germanophone sort dans les cinémas de la RDA en 1964. Un documentaire sur sa vie est produit en 1998 par le Musée Henry Dunant sous la forme d'un film d'environ 30 minutes : Henry Dunant (1828-1910). La première transposition sous la forme d'un téléfilm intitulé Henry Dunant, du rouge sur la croix et diffusé par la première fois le 10 mars 2006 à Genève. D'une durée d'environ 90 minutes et réalisé par Dominique Othenin-Girard au moyen d'un budget d'environ 5,6 millions d'euros cofinancé par Arte, l'Entreprise nationale de la télévision algérienne ainsi que 18 chaînes de télévision européennes, il est né de la coopération entre les studios et chaînes de télévision d'Autriche, de Suisse et de France. Toutefois, la Société Henry Dunant y a trouvé un certain nombre d'erreurs par rapport à la réalité de la vie de Dunant[6].

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